La philo pour enfants : qu’est-ce que ce n’est pas ?

Je vous donne une petite astuce qui peut servir au quotidien et qui est un redoutable outil pédagogique : quand vous n’arrivez pas à définir un concept, commencez par vous demander ce qu’il n’est pas.

Dans mon travail d’animateur d’ateliers de philosophie avec les enfants, le jeu avec les oppositions est un outil que j’utilise souvent. Par exemple, ce n’est pas forcément évident de dire ce qu’est le racisme et on met généralement tout et n’importe quoi à l’intérieur. Pour construire le concept-racisme, commençons donc par essayer de faire des distinctions : le sexisme est-il une forme de racisme ? Critiquer une religion, est-ce du racisme ? etc.

La nature humaine est faite ainsi qu’elle redoute d’aborder de front les questions complexes (trop de stress, peur de ne pas savoir, peur de ne pas y arriver, peur de passer pour un imbécile ou un inculte, peur d’avoir l’air bête – trop de cortisol pour notre pauvre cerveau, et le cortisol bloque les aires cérébrales du raisonnement). Nous évitons donc le plus souvent de nous les poser et surtout d’y répondre, préférant rester sur un mode de pensée automatique, moins perturbant et moins consommateur d’énergie pour notre cerveau – nous puisons dans les stéréotypes disponibles dans notre mémoire pour expliquer nos expériences.

De plus, notre conscience est meublée d’expériences multiples, discontinues, non linéaires : penser (répondre à des questions complexes) consiste donc à effectuer un tri, à classer, ordonner ces différentes expériences.

La bonne approche consiste donc à passer par les côtés, sans éviter le problème pour autant, donc à faire des distinctions, à élaguer le concept en éliminant de son champ d’action ce qu’il n’est pas.

En ce qui concerne la philo avec les enfants, il est loin d’être évident de comprendre ce qu’elle est tant cette pratique est révolutionnaire et inhabituelle, tant elle se heurte à nos schémas de pensée. Eh oui, nous avons été intellectuellement formatés à recevoir des connaissances par l’approche directe : le prof donne son cours (déverse son savoir), l’élève l’ingurgite, telle une bouteille vide qu’on remplit.

Au cours de ma pratique, j’ai été confronté à de nombreuses incompréhensions. Récemment, celle d’un papa qui n’a pas apprécié qu’on aborde la question de la distinction fille/garçon lors d’un atelier, et à qui je n’arrivais pas à faire comprendre que je ne suis pas un prof, qu’un atelier philo n’est pas un cours, et que je ne suis pas là pour donner une définition sur ce que serait une fille et un garçon. On voit bien les peurs qui opèrent dans les interrogations du papa : il se sent dépossédé de son rôle de transmetteur de valeurs, tout en me soupçonnant de faire l’apologie de la théorie du genre.

Il était tellement impossible pour lui de concevoir que je n’apporte pas de contenus dans mes ateliers, que ce sont les enfants qui le font et que si la théorie du genre arrive sur le tapis de la discussion c’est parce qu’il s’agit d’une question sociétale à laquelle ils sont confrontés par les médias, Internet, les copains (bah oui, de nos jours, une fille peut devenir un garçon, c’est comme ça, et je ne suis pas là pour dire si c’est bien ou si c’est mal). Il lui était tellement impossible à concevoir que je me contente de poser des questions, de pousser les enfants à réfléchir de façon argumentée que j’ai dû l’inviter à assister à un atelier. Chose qu’il a faite, et il en est ressorti ravi.

Autre exemple d’incompréhension, plus grave celle-ci puisqu’elle touche un animateur auprès d’ados (un professionnel, donc…) : « Ouh là, me dit-il, faire de la philo avec les ados, trop compliqué pour eux ! » Je passe sur le manque d’engagement de l’animateur en question et me contente de lui répondre : « Tu sais que j’anime des ateliers philo avec des maternelles ? »

J’en arrive donc au cœur de mon sujet : vous dire ce que n’est pas la philo pour enfants.

 

Voici donc une liste utile. La pratique philosophique avec les enfants n’est pas :

-          Un savoir.

-          Un cours.

-          Une leçon de morale.

-          Une histoire de la philosophie.

-          Un empilement d’idées.

-          Une conversation de « café du commerce ».

-          Relativiste.

-          Uniquement orale.

-          La recherche d’une « bonne réponse ».

-          Une compétition entre les débatteurs.

 

 

J’approfondirai dans un prochain article, mais il y avait urgence pour moi à ce que ce soit dit.

 

Julien