Régulièrement, je vous propose un portrait, une interview, une rencontre avec un.e praticien.ne en philosophie pour enfants. Une personnalité singulière qui fait la richesse du métier d’anim’ d’ateliers philo-enfants.
Mais pourquoi ?
Pour le plaisir de découvrir, d’abord, et ensuite pour s’enrichir d’expériences, d’outils, d’idées.
Le monde de la philo pour enfants est très jeune et très dynamique, de nouvelles « pousses » fleurissent chaque semaine, de nouvelles personnes souhaitent se lancer dans l’aventure et se forment. Alors, ces portraits ont aussi pour vocation de les aider dans ce long et passionnant cheminement.
Dans cet article, mon amie Myriam Mekouar nous retrace son parcours et nous présente son association, L’Écume, située en Finistère, qui allie la philosophie pour enfants et le théâtre.
Julien Lavenu
Ce qui m’a amenée à la pratique philosophique avec les enfants
J’ai toujours été passionnée de littérature, de poésie, de philosophie et de théâtre. Au lycée, j’ai eu le grand privilège d’avoir en classe de terminale une prof de philo hors du commun, Séverine Auffret, philosophe, poète et féministe d’avant-garde qui est devenue mon amie et avec qui je conserve encore aujourd’hui des liens d’une grande tendresse. Elle m’a largement inspiré et donné le goût de l’investigation philosophique mais aussi de la curiosité, ce que les Grecs anciens appelaient le « Thaumazein ». Cette faculté est innée chez l’enfant et c’est important à mes yeux de la cultiver et la laisser croître. La capacité d’étonnement, si elle est également accompagnée d’une certaine humilité, favorise l’entrée dans le monde de la pensée et du philosopher.
Après mon bac, j’ai longuement hésité entre un cursus philo et un cursus littéraire et j’ai finalement opté pour des études de Lettres à Paris IV Sorbonne. Puis j’ai été une professeure de Lettres très heureuse pendant 30 ans. Néanmoins, fidèle à mes affinités avec la philosophie et ayant fait le tour de mon métier d’enseignante, peut-être aussi ne me retrouvant plus dans le système éducatif tel qu’il est, j’ai eu envie de me tourner vers d’autres voies et de me former à la philosophie et particulièrement à la pratique philosophique avec les enfants, telle qu’entrevue sous l’angle des NPP (Nouvelles Pratiques Philosophiques).
De lectures en belles rencontres, j’ai d’abord suivi la formation SEVE à Bordeaux au moment du lancement de leur fondation. Ressentant le besoin d’aller plus loin et de poursuivre cette exploration de façon plus rigoureuse, j’ai échangé avec Edwige Chirouter et décidé de suivre la toute nouvelle formation universitaire qu’elle a réussi à faire valider à l’Université de Nantes pour animer des ateliers philosophiques avec les enfants et les adolescents à l’école et dans la Cité. J’ai ensuite continué et tout récemment, j’ai décroché à l’Université de Paris Descartes le diplôme en « Philosophie pratique de l’éducation et de la formation ». Parallèlement, depuis 2018, je suis également Mentor chez les « Savanturiers de la philosophie » au C.R.I (Centre de recherches interdisciplinaires), ce qui me permet de tutorer et accompagner des enseignants qui se lancent dans des projets philo avec leur classe.
« Je veux néanmoins rappeler que ce chemin a été long, souvent difficile, parfois semé d’obstacles et de difficultés »
Voulant donner du sens à ma recherche universitaire en l’appliquant sur le terrain, j’ai commencé il y a 6 ans à animer des ateliers philo avec les enfants et les ados, d’abord en Gironde puis depuis mon installation en Bretagne, en Finistère où l’accueil a été extraordinaire. À travers l’association l’écume, que j’ai cofondée en 2010 avec Jef Berton, j’interviens ainsi dans de nombreux établissements scolaires, dans des instituts supérieurs ainsi que dans la Cité : médiathèques, librairies, SESSAD, ITEP, IME, PJJ, pour des cafés philo intergénérationnels, des conférences dans les INSPE, auprès des réseaux CANOPE, et à la demande de l’inspectrice académique de la circonscription du pays d’Iroise… L’engouement des Bretons pour la philosophie est, je dois l’avouer, extrêmement motivant. Sans doute l’énergie de l’océan opère-t-elle ici…
Il y a quelque temps, SEVE m’a sollicitée pour animer une formation auprès de 22 bibliothécaires, enseignants et animateurs en Morbihan. Ce fut un franc succès. Mon collègue Michel Calvez y a aussi participé et le retour de ces deux jours de formation m’a convaincue de me lancer dans cette voie. Aujourd’hui, j’ai obtenu mon N° déclaration d’activité de prestataire de formation auprès de la DIRECCTE de Bretagne et face à une demande importante, je m’apprête à développer aussi ce volet de formation dans mes activités.
Je veux néanmoins rappeler que ce chemin a été long, souvent difficile, parfois semé d’obstacles et de difficultés, qu’il m’a fallu réaliser de très nombreuses interventions bénévolement d’abord pour faire connaître la pratique aux enseignants et au grand public et pour prouver sa légitimité et sa nécessité. Mon métier est ma passion. C’est elle qui m’anime chaque jour et qui me nourrit spirituellement. Aujourd’hui, mon association est agréée auprès de l’Education nationale et mon agenda plein à craquer.
J’anime aussi depuis 4 ans des ateliers hebdomadaires dans le local de l’écume ce qui me permet de prendre le temps de construire dans la durée de beaux projets avec mes « Graines de Socrate ».
« Mes premiers élèves ont aujourd’hui 35 ans et le lien reste indéfectible »
Tout au long de ces années, j’ai fait des rencontres insolites, belles et toujours fraternelles (même si parfois, reconnaissons-le, j’ai eu affaire à des vraies têtes de cons).
Parallèlement, j’anime aussi avec un grand bonheur depuis 35 ans des ateliers théâtre avec les enfants et les adolescents. Mes premiers élèves ont aujourd’hui 35 ans et le lien reste indéfectible tant cette aventure collective que constitue la pratique théâtrale est dense et puissante. Tous les spectacles que j’ai montés, mis en scène se font au profit d’œuvres caritatives, notamment auprès de l’UNICEF dont l’écume est partenaire. Une manière d’allier les mots aux actes et de former les enfants à l’engagement citoyen et solidaire.
Par ailleurs, depuis 2019, je suis vice-présidente de la fédération d’éducation populaire des FRANCAS du Finistère, une fonction en cohérence avec les valeurs et les principes que je tente de promouvoir depuis 35 ans. Avec mes camarades, nous envisageons de monter pour la première fois très prochainement et en Bretagne un festival « Graines de philo » des FRANCAS pour permettre à tous les enfants et les ados du pays de Brest et alentours de s’adonner à la pratique philo.
Enfin, je publie de temps en temps quand on me sollicite, des articles en lien avec les NPP et la pratique du philosopher dans diverses revues : Diotime dirigée par Michel Tozzi, Les Cahiers pédagogiques, et dans la Pause Philo, dont je suis une des rédactrices.
Quelques mots sur ma pratique du philosopher avec les enfants
Cette pratique est inscrite dans les programmes scolaires depuis 2015 dans le cadre de l’EMC (éducation morale et civique), dès la grande section maternelle sous la forme du débat réglé, anciennement appelé discussion à visée philosophique (DVP).
Pour ma part, j’ai choisi par conviction de m’inscrire dans les pas de Michel Tozzi, Edwige Chirouter et Mathew Lipman, pour ne citer qu’eux et j’ai mis au point mon propre protocole pédagogique.
Résolument, ma démarche est une démarche d’éducation à la citoyenneté, à la démocratie, à la fraternité et à la paix, et le protocole que je mets en place se propose de travailler de très nombreuses compétences, qu’elles soient cognitives ou sociales. Ces dernières sont transférables aux apprentissages scolaires et permettent en outre aux participants de développer également leur créativité et leur inventivité tout en renforçant leur estime et leur confiance. M’inspirant sur les travaux de Michel Sasseville au Québec, je tente aussi de développer à travers mes ateliers la pensée attentive et la pensée créatrice. Finalement, à force de « bricolage pédagogique », j’ai inventé mon propre scénario pédagogique que j’essaie d’inscrire dans une visée libératrice et émancipatrice, autant que faire se peut, car dans ce domaine, il est raisonnable de rester humble : seule la régularité dans la pratique permettra d’atteindre cette visée. En effet, je fais évoluer ma posture et mon étayage au fil des séances en me mettant de plus en plus en retrait au fur et à mesure que les élèves s’approprient le dispositif et acquièrent des habiletés pour tendre vers une autonomie.
La pratique du débat philosophique permet donc en outre à l’élève de:
o Apprendre à discuter et à échanger en respectant les règles du débat démocratique,
o Apprendre à affirmer ses idées, leur donner de la valeur et donner de la valeur à celles des autres, les respecter,
o Développer son vocabulaire, ses compétences langagières, utiliser des connecteurs logiques et mieux construire ses phrases, affûter ses capacités argumentatives…
o Apprendre à définir les mots, les concepts, et à mieux conceptualiser, problématiser, argumenter,
o Apprendre à développer son esprit critique, à cultiver l’étonnement, la curiosité,
o Développer sa confiance et son estime,
o Coconstruire une culture commune avec les autres…
o Prendre la parole devant un grand groupe…
o S’engager dans un projet et le conduire jusqu’à son terme…
Je peux aussi faire débuter l’atelier, si la situation s’y prête, par une petite séance de méditation de pleine conscience appelée aussi pratique de l’attention qui va permettre une meilleure ouverture d’esprit et disponibilité.
Enfin, étant plutôt une animatrice qui aime rire, mes ateliers sont-ils généralement toujours menés dans la joie et l’humour car penser est jubilatoire !
Le théâtre philosophique, une pratique artistique innovante et inspirante
À première vue, la pratique du théâtre et celle de la philosophie sont deux activités très éloignées l’une de l’autre. Alors que le théâtre repose sur la création d’une illusion faite d’espace et de temps, qu’il s’incarne dans des corps et se définit par sa visée esthétique, la démarche philosophique, elle, se concentre sur l’exercice de la pensée rationnelle, élabore des concepts abstraits, les articule logiquement dans des argumentations structurées, et se définit par les questions, les paradoxes et les limites qu’elle pose sur le monde qui nous entoure.
Cependant, à y regarder de plus près, on voit apparaître des points communs entre ces activités, envisagées comme des pratiques: une expérience collective vivante, l’usage du langage oral, l’étonnement face au monde et à autrui, le questionnement de/sur la vérité et, enfin, un travail réflexif de celui ou celle qui les pratique. Il est question ici d’envisager le théâtre et la philosophie comme des pratiques vivantes dans lesquelles on s’engage corps et âme, ou plutôt, corps et pensée… Cette approche enclenche un processus réflexif alimentant l’expérience humaine et artistique, laquelle, à son tour, ouvre de nouveaux horizons à la pensée.
La philosophie et le théâtre sont perçus comme un champ d’expérimentation de la pensée, dans lequel puiser des ressources pédagogiques, affectives, artistiques, sociales, ou politiques au sens noble.
Ce qui résonne en moi et enrichit mon expérience
En tant que formatrice, enseignante et metteure en scène, j’utilise le questionnement comme outil didactique, en invitant les élèves à découvrir ce qui est en jeu dans la thématique choisie, mais aussi comme outil dramaturgique, qui interroge les personnages et qui fait surgir ce qui les lie aux acteurs et ce qui les nourrit dans leur pratique théâtrale.
« Ce questionnement maïeutique permet de nous « décoller » et de nous défusionner de la réalité qui nous limite, pour élargir notre champ de vision et de compréhension du monde. On prend de la distance avec soi-même, on entre dans un processus qui modifie notre vécu expérientiel, lequel modifie en retour notre pensée.
Aujourd’hui, le terme « Nouvelles Pratiques Philosophiques » (NPP) regroupe une grande variété de dispositifs, protocoles, courants qui s’inscrivent dans le désir d’expérimenter la philosophie autrement que dans la pédagogie frontale et magistrale rencontrée en classe de terminale. Ces NPP aujourd’hui ont investi de nouveaux espaces de discussion et des terrains d’expérimentation nouveaux: cafés, bibliothèques, librairies, écoles, Universités, prisons, maisons de retraite, théâtres, cinémas, entreprises, hôpitaux, structures médico-éducatives, incluant ainsi un vaste public dans des processus de réflexion collective.
C’est donc par l’approche dialectique et socratique du dialogue philosophique avec les enfants que j’ai finalement abouti à ma propre démarche. Cette dernière est intimement liée à mon goût pour le théâtre que je côtoie depuis plus de 35 ans et que j’envisage ici comme un outil de démocratisation de l’art et d’éducation citoyenne.
Myriam Mekouar pour LaboPhilo, 2020.
Pour joindre Myriam Mekouar…
Site internet : www.asso-lecume.fr
LaboPhilo publie des livres, des jeux et des kits pour animer, se former et aussi s'amuser dans les domaines de la philo pour enfants et de la pédagogie bienveillante.
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