« L’école est une microsociété indispensable dans la construction de l’enfant. Depuis quelques années, l’école est mise à mal, pointée du doigt par les médias et les réseaux sociaux. Mais qui sait réellement ce qui se passe à l’intérieur d’une classe de cours? »
Professeure des écoles, Alexandra Ibanès anime avec sa classe des ateliers de philosophie pour enfants depuis près de vingt ans. Elle nous livre, dans cet article sans langue de bois, une vision de l’école pleine d’espoir sans éluder pour autant les questions qui fâchent et les difficultés réelles que rencontrent les enfants et les enseignants aujourd’hui. Il y est question de motivation des élèves, de vivre ensemble, d'éducation positive pas toujours bien interprétée, des débats à visée philosophique et du sens premier de l’enseignement : enseigner.
Il s’appelle Paul, je l’ai rencontré il n’y a pas très longtemps. Il a 80 ans et il est né fils d’agriculteur. Il m’a dit qu’il devait tout à l’école de la République. Bénéficiant d’une bourse, il a pu entreprendre des études secondaires. Puis, le métier de « pion » lui a permis de se payer des études supérieures et de devenir professeur d’anglais et de littérature anglaise à l’Université à Aix-en-Provence. À 80 ans, il n’a pas oublié et il dispense à l’heure actuelle des cours gratuits de pratique d’anglais pour de futurs doctorants en droit douze heures par semaine. Une façon pour lui de restituer un peu de ce qu’on lui a offert jadis...
Ils s’appellent Djamel, Amhed, Fathia, Oussime… Ils ont entre 30 et 40 ans, ont vécu leur enfance dans des quartiers populaires et sont devenus éducateurs, responsables d’associations ou cadres supérieurs. Leurs regards sont pétillants et ils mordent la vie à pleines dents, ils ne cessent de remercier l’école grâce à laquelle ils ont pu s’insérer dans la vie sociale.
Il s’appelle Théo, il a 10 ans, il a connu un drame familial dans sa jeune vie. Il ne parlait plus, il détestait l’école et il a appris à l’aimer car son enseignante a refusé de pleurer avec lui, elle l’a apprivoisé et lui a fait comprendre qu’il avait le droit d’être malheureux mais aussi de devenir heureux, qu’il avait droit au bonheur. Du jour au lendemain, Théo a appris à rire, à chanter, à jouer avec ses copains après trois années de silence.
L’école est une microsociété indispensable dans la construction de l’enfant. Depuis le début de ma carrière, je côtoie des enseignants majoritairement soucieux du bien-être des élèves. L’enseignement est pour beaucoup une véritable vocation et rares sont les personnes qui quittent leur enveloppe de prof une fois rentrées chez elles.
Depuis quelques années, l’école est mise à mal, pointée du doigt par les médias et les réseaux sociaux. Mais qui sait réellement ce qui se passe à l’intérieur d’une classe de cours?
En quelques années, face aux bouleversements considérables provoqués par des avancées technologiques considérables l’ensemble de la société a basculé très rapidement dans une ère nouvelle. La vie des enfants de 2020 n’est pas régie par les mêmes modes que celle de leurs parents et encore moins de leurs grands-parents. Naguère, les enfants avaient rarement droit à la parole et étaient astreints à des obligations dues aux difficultés économiques. Aujourd’hui, nombre d’entre eux sont placés dans des conditions de confort qui leur paraît la chose la plus naturelle du monde. Souvent mis sur un piédestal « d’enfants-rois », ils désirent tout, tout de suite. Dans le cocon familial, leurs parents (souvent surmenés) les laissent livrés à eux-mêmes. Aussi, méconnaissent-ils l’existence des règles qui régissent la vie scolaire puisqu’il n’y en a pas toujours à la maison. Cette incompréhension amène quelquefois à la violence et à la phobie scolaire.
Le vocabulaire s’est appauvri à l’image de ce que leur offrent les écrans de télévision, tablettes et smartphones. Même les jeux dans les cours de récréation, si nécessaires pour développer l’imaginaire, sont en grande régression. C’est une souffrance pour certains enfants d’aller à l’école, car ils n’ont pas toutes les clés en main pour pouvoir comprendre ce qui leur est proposé pour se développer harmonieusement.
Aussi, malgré toutes les mises en œuvre de projets destinés à les motiver, les enfants sollicités de toutes parts ont une capacité d’attention amoindrie. L’enseignant doit toute la journée être « animateur » pour retenir l’attention des élèves, ce qui est énergivore.
Si les professeurs sont soucieux du bien-être des enfants qui leur sont confiés, il ne faut pas oublier que leur mission première est d’enseigner les mathématiques, le français, l’histoire, la géographie, les sciences, les arts, le sport et de leur apprendre à vivre ensemble. Toutes ces disciplines sont enseignées avec rigueur et sont indispensables pour poursuivre des études. J’ai constaté ces dernières années que de nombreux enfants n’ont plus la démarche de se mettre dans des situations de recherche et préfèrent attendre passivement de recevoir des réponses toutes prêtes. On leur a souvent dit aussi que tout ce qu’ils apprenaient à l’école se trouvait sur internet. Pourquoi donc faire des efforts ? Malgré ces disciplines enseignées le plus souvent avec des trésors de pédagogie, beaucoup d’enseignants ouvrent l’esprit de leurs élèves en créant un bien vivre ensemble en montant des ateliers-théâtre, des chorales, des performances artistiques, en les invitant à des classes de découvertes, des ateliers thématiques, des visites, en créant des projets citoyens et écologiques où les enfants sont au centre des apprentissages.
Les débats à visée philosophique qui se développent au sein des établissements peuvent également aider à redonner goût aux apprentissages du savoir. En favorisant l’expression spontanée, une expression développée dans un cadre précis, privilégiant l’écoute et le respect des opinions les plus diverses, les conditions seront réunies pour fonder des relations nouvelles au sein d’une classe.
Mis dans un état de confiance que favorisent l’anonymat et l’absence de jugement, les enfants parviennent à exprimer un vécu souvent douloureux, aux antipodes de l’état apparent qu’ils montrent. Une année, une vingtaine d’entre eux (sur 31) m’ont expliqué par écrit comment ils exprimaient leur colère : chantage à la nourriture à la maison, hurlements fenêtres ouvertes, bris de leurs jouets, menace de se rendre au commissariat, violences sur les frères et sœurs… jusqu’à obtenir ce qu’ils veulent. À partir d’un tel constat, on comprendra qu’il est difficile pour eux d’accepter des règles qu’on leur impose en classe.
Par ailleurs, quels que soient les écoles et les niveaux, nombreux sont ceux qui disent qu’ils n’aiment pas travailler car « c’est fatiguant, ça ne sert à rien, et on n’aime pas les efforts » ; certains au bout de 20 minutes d’attention peuvent s’endormir, se taper la tête sur les tables, se provoquer, et se mettre à parler fort. Les questions de plus en plus fréquentes sont désormais « Maîtresse est-ce que je suis obligé de faire cet exercice ? Maîtresse, y a pas un exercice plus court ? » encouragés quelquefois par leurs parents qui, pour des raisons d’éducation « positive » mal interprétées, défendent bec et ongles leur enfant qu’on ne doit surtout pas contrarier... Ces comportements mènent évidemment à la désobéissance à l’école et à des conflits épuisants.
Ayant ainsi exprimé leur mal-être, les enfants m’ont affirmé que les débats philo leur permettaient de trouver une paix intérieure et d’apprendre à respecter des règles en en comprenant leur utilité. D’autres se sont mis à aimer l’école et n’hésitent plus à exprimer leurs difficultés dues en premier lieu au manque de vocabulaire et de concentration.
Forte de ces expériences souvent difficiles et réellement vécues, j’affirme néanmoins que l’école est un lieu qui peut être extraordinaire pour l’épanouissement des enfants. Ils y apprennent les valeurs fondamentales de la société et le savoir vivre ensemble qui ne leur sont pas toujours inculqués au sein familial, comme cela était le cas autrefois. Il faut faire confiance aux enseignants qui mettent tout en place pour la réussite et le bonheur de leurs élèves en menant des projets où ceux-ci s’expriment. Dans les différentes écoles où j’ai enseigné, je n’ai jamais rencontré un professeur qui bâillonnait la parole.
Les débats philo en classe, à condition qu’ils soient conduits de façon rigoureuse et très régulière, aident à créer une autre relation professeur-élève. Il m’arrive d’avoir des classes difficiles et, quand c’est le cas, je remarque de prime abord que les premières règles qui sont acceptées sont celles mises en place dans la conduite d’ateliers (ce qui fera l’objet d’un prochain article). Chaque animateur qui conduit un débat, qu’il soit enseignant ou vacataire, doit au préalable bien connaître le climat de la classe, d’où la présence indispensable des enseignants lors des discussions.
L’éducation des enfants a beaucoup changé ces dernières années et les raisons de ne pas aimer l’école sont différentes du siècle dernier. Depuis 19 ans, j’anime des ateliers philo dans ma classe très régulièrement et cela n’est jamais vécu comme un pensum puisqu’il n’est question que de tout ce qui concerne nos vies dans leur rapport avec la collectivité. Je pense que dans notre microsociété qu’est l’école, c’est une discipline qui sera un pilier essentiel pour une mieux s’adapter aux réalités économiques et socioculturelles.
Il est indispensable de faire confiance aux enseignants. Chacun en fonction de sa personnalité et de ses compétences cherche à faire grandir les enfants de la meilleure façon qui soit et les accueille avec empathie. Combien sont-ils à sacrifier souvent une vie de famille pour la réussite de leurs élèves ? La mission qui nous est confiée est certes chronophage et, pour ma part, je défendrai toujours une école où on doit sans cesse s’adapter, de même que l’on doit s’adapter aux bouleversements de la société. Souvent les élèves parlent de leurs futurs métiers et celui de « maîtresse d’école » ne fait plus partie de leurs rêves ! La majorité souhaitent exercer une profession libérale, être patrons pour ne pas recevoir d’ordre et ces désirs sont le reflet de notre société consumériste et individualiste : de l’argent, une vie « cool » avec beaucoup de biens de consommation (malgré un idéal écologique !!??!!). Combien seront-ils de cette nouvelle génération à devenir des adultes épanouis avec de telles valeurs majoritairement colportées ? Les ateliers philo à l’école peuvent leur faire accéder à un autre regard, plus critique et plus lucide.
Ce témoignage est la réflexion d’un travail mené en classe dans différentes écoles et avec différents collègues. Tous ont foi dans leur métier pour faire découvrir aux enfants les valeurs démocratiques de notre société, l’histoire qui nous permet de comprendre la société d’aujourd’hui, la littérature indispensable à la construction de chaque individu, la beauté avec la découverte des grands musiciens et des grands peintres. Et la plupart des enseignants, même s’ils ne pratiquent pas les ateliers philo en classe, développent avec d’autres outils à travers les sciences, l’histoire, la géographie, l’étude des médias, les maths, le raisonnement et l’esprit critique chez les enfants pour les aider à devenir les adultes qu’ils deviendront très vite.
© Alexandra Ibanès pour LaboPhilo, 2020.
A lire également, l'interview d'Alexandra Ibanès: "La philo en classe a changé mon métier d'enseignante".
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