Régulièrement, je vous propose un portrait, une interview, une rencontre avec un.e praticien.ne en philosophie pour enfants. Une personnalité singulière qui fait la richesse du métier d’anim’ d’ateliers philo-enfants.
Mais pourquoi?
Pour le plaisir de découvrir, d’abord, et ensuite pour s’enrichir d’expériences, d’outils, d’idées.
Le monde de la philo pour enfants est très jeune et très dynamique, de nouvelles « pousses » fleurissent chaque semaine, de nouvelles personnes souhaitent se lancer dans l’aventure et se forment. Alors, ces portraits ont aussi pour vocation de les aider dans ce long et passionnant cheminement.
Cette semaine, c'est Fanny Blanchard, animatrice philo pour enfants et fondatrice de Ph'Art, Philosophie et Art, qui a accepté de se prêter au jeu...
Parle-nous de toi, comment es-tu entrée dans le monde de la philo pour enfants?
Cette entrée dans le monde de la philosophie, c'est une histoire de résilience avec pour ingrédients de base: une ville de banlieue parisienne multiculturelle, des inégalités, des parents engagés dans l'entraide et le social, un père étudiant en théologie et une petite fille ayant de nombreux questionnements existentiels. Voilà, la graine était plantée.
A l’âge adulte, j’ai eu une première partie de carrière axée vers les domaines de la culture et la communication.
Puis les choix professionnels, les épreuves, le quotidien mais aussi les joies, les moments d'émerveillements, l'ouverture, l'engagement, l'envie d'aller plus loin ont suivi. Jusqu’à la maladie! Cette maladie qui m'a fait tout stopper, me mettant face à la question de ma propre mort. Elle m'a également permis de repousser mes limites, de développer un mental profondément optimiste et déterminé.
De cette prise de conscience des sens et de la raison ont rejailli deux passions. Celles-ci se sont rouvertes positivement dans ma vie. Tout d’abord l’Art, grâce à la rencontre d’une artiste pluridisciplinaire : Caroline Duval de la Cie BE qui m’a permis de m’enrichir grâce à des espaces d’expérimentations artistiques et sensorielles. Suite à cette rencontre, j'ai eu l'occasion d'intégrer la compagnie Be en tant que co-présidente et ainsi de m'engager dans le domaine de l'Art vivant. Puis je me suis lancée dans la philosophie avec les enfants en 2019 avec l'association SEVE.
Déjà impliquée dans la pratique de la pédagogie alternative de Célestin et Elise Freinet au sein de l'école de Vence, la formation SEVE est venue confirmer cette passion pour la pédagogie et la philosophie avec les enfants.
J’ai rapidement eu l'occasion de débuter des ateliers au sein de ma commune et j’ai tout de suite constaté la nécessité d’approfondir la recherche afin d’obtenir des compétences plus approfondies et rigoureuses dans ce domaine. C’est ainsi que, malgré la distance, je me suis lancée et j’ai postulé au DU de philosophie avec les enfants et adolescents dans la cité de l'université de Nantes. Un projet porté par Edwige Chirouter au sein de la chaire UNESCO que j'ai la chance de suivre cette année.
De cette reconversion sont nées une autoentreprise et l'association Ph'Art, philosophie et Art. Alors que l’aventure continue!
Pratiques-tu une méthode particulière, pourquoi?
Je rejoins le courant de la CRP, communauté de recherche philosophique avec une pratique ancrée dans le réel, le sensible et l'expérimentation. Je propose plus précisément des ateliers mêlant Philo et Art. Nous partons de supports inducteurs variés pour philosopher. L'utilisation de ces supports inducteurs permet à l’enfant une distanciation avec sa propre expérience et facilite le processus de problématisation.
Dans un deuxième temps, je propose un prolongement par l’art, la peinture, la sculpture, le dessin, les jeux de rôles afin de permettre aux enfants d’ancrer les propos, de poursuivre l’ouverture et l'observation des différences, pour pratiquer de manière ludique et joyeuse.
Je dirais que la pratique artistique au sein des ateliers encourage l’ouverture de la pensée des enfants et l’implication au sein de la communauté de recherche.
Quels sont tes thèmes de prédilection?
Actuellement mes thèmes de prédilection sont les suivants: le bonheur, la Liberté et les interdits, la différence, les autres, la fraternité
J'affectionne particulièrement ces thèmes et les ponts philosophiques que l'on peut faire entre eux. En cette période si particulière; aborder ces thèmes et leurs connexions me semble essentiel pour s’ouvrir, comprendre et se questionner sur les événements que nous vivons. Encourager l’optimisme, la joie et l’esprit de fraternité sont les objectifs principaux vers lesquels je tends actuellement.
Quels outils utilises-tu le plus souvent ?
J’utilise très souvent les albums jeunesse pour les ateliers avec les plus jeunes. C’est un bon moyen pour eux de mettre une distance avec leurs propres expériences pour pouvoir ensuite problématiser.
Avec les plus grands, j'affectionne particulièrement les dilemmes moraux pour lancer le débat et impliquer les enfants dans les questionnements. (L’anneau de Gygès, L’expérience de L’île déserte)
D’autre part, j’ai développé et axé une partie des mes ateliers sur l’art comme support inducteur de la discussion philosophique.
Pour cela, je pars d'œuvres d’art pour lancer l’échange. En général il s’agit d'œuvres déjà sur place dans les musées ou autres lieux culturels.
Puis il y a les expériences sensorielles et artistiques. Elles sont généralement des espaces d'expérimentations très riches et intenses pour lancer et nourrir le questionnement et l’échange philosophiques.
Qu'est ce que ce métier t’apporte sur le plan perso?
Ce métier m'apporte beaucoup de joie et de plaisir. Mais aussi de l'épanouissement professionnel ainsi qu'un environnement intellectuel stimulant.
Animer des ateliers de philosophie n'est jamais répétitif. Chaque expérience est différente. Avec ses difficultés et ses moments de grâce.
Ainsi, s'engager, agir, être optimiste et faire de la philosophie avec les enfants me permettent de vivre mieux ici et maintenant.
Quelles sont les principales difficultés?
Une des difficultés est le maintien de l’attention des enfants.
La difficulté étant de jongler entre autorité et bienveillance en s’adaptant à chaque fois. En effet, ce qui fonctionne avec un groupe ne fonctionne pas forcément sur un autre.
D’autre part, ce que je qualifierais de principal enjeu et qui est souvent mis à l’épreuve dans les ateliers philo est le maintien de l’exigence philosophique.
Être à l’écoute des enfants, ouvert à leurs propositions tout en gardant un cadre. Amener une pratique ludique qui permet aux enfants de s'impliquer mais qui reste exigeante.
Dans son ouvrage 1.2.3...Pensez! Johanna Hawken nous dit: « Le facilitateur est comme un funambule, qui cherche à rester ouvert à l’improvisation au sein d’un cadre balisé par ces champs préparatoires. »
Selon toi, quelles qualités doit avoir un anim d’atelier pour enfants ?
Une fois la didactique de la pratique de la philosophie avec les enfants acquise, je dirais que la posture de chacun va s’adapter en fonction de sa sensibilité et de sa personnalité.
A mon sens, voici donc les 6 principales qualités de l’animateur: la bienveillance, pour mettre les enfants en confiance et créer une atmosphère propice à l’échange ; l’écoute, pour savoir rebondir sur les cheminements de pensées des enfants ; l’enthousiasme, pour communiquer et partager cet intérêt pour la discussion philosophique ; l’exigence, pour permettre aux enfants d’approfondir et d’aller plus loin dans leurs réflexions et dans leurs cheminements de pensées ; l'énergie et la créativité afin d'animer la discussion de manière ludique, joyeuse et entraînante. L’ouverture d’esprit, pour que les enfants ne se sentent pas jugés.
Merci à toi!
Propos recueillis par Julien Lavenu pour LaboPhilo, janvier 2021.
Pour joindre Fanny BLANCHARD:
phartassociation@gmail.com
Pour visiter la page Facebook de Fanny: cliquer ici!
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