RETOUR D'ATELIER PHILO: Prendre le risque de dialoguer avec les autres ou rester dans sa bulle de confort? par Laurence BOUCHET

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PHILOSOPHER EN ACTE, SE RISQUER AU DIALOGUE...

 

Par Laurence BOUCHET, philosophe praticienne, fondatrice de la Philomobile.

 

Classe de CM2, le maitre m’a demandé un atelier philo sur le thème de l’exclusion.

 

Pourquoi parfois exclut-on les autres ?

Qu’est-ce que ça produit ?

Est-ce qu’on pourrait ne pas exclure ?

 

J’ai à peine posé quelques questions aux enfants de la classe que Noé pousse un cri. Il dit que Youssef lui a donné un coup de pied sous la table. Je regarde Youssef, il pouffe de rire, tandis que Martin et Kevin rient aussi.

Je demande à Youssef si discuter avec les autres dans le cadre de l’atelier philo l’intéresse. Il dit « mouais » en haussant les épaules. Je lui fais remarquer que sa bouche dit quelque chose tandis que son corps dit autre chose, et comme je me fie plutôt à ce que dit son corps qu’à ce que dit sa bouche, j’en déduis qu’il n’est visiblement pas motivé à l’idée de discuter. J’imite son « mouais » pour lui montrer le signe qu’il envoie. Cela l’étonne un peu.

 

Mais pourquoi fait-on dire une chose à notre bouche tandis que notre corps indique l’inverse ?

"C’est pour ne pas dire ce qu’on pense Madame, parce que si on le disait on aurait peur d’être puni" dit, Yacine.

Je demande "Et toi, alors tu as peur Youssef ?"

Il hausse les épaules et recommence à ricaner.

"Alors, tu veux discuter avec nous ?"

Il recommence son « mouais ».

Je lui dis que cela veut plutôt dire non, qu’il peut me le dire franchement, s’il ne veut pas, il n’est pas obligé de discuter. Ce n’est pas un problème. Il peut se mettre un peu en retrait et observer ce qui se passe.

Mais après un moment d’échange avec les autres, Youssef dit que finalement il veut dialoguer avec nous. Cette fois, c’est clair !

 

Alors, je lui propose de poser des questions à ses camarades pour les pousser à réfléchir et comprendre ce qu’ils pensent. Youssef pose d’intéressantes questions en s’adressant à Nina, à Abdel, à Léo et d’autres : "pourquoi dis-tu qu’une personne agressive est une personne qui souffre ? Pourquoi n’aime-t-on pas montrer qu’on est triste ?"

 

Au bout d’un moment, je demande à Youssef s’il a remarqué quelque chose ? (Lors d’un atelier philo, je propose souvent aux participants de prendre un recul métacognitif, c’est-à-dire de s’observer penser).

Youssef ne sait pas mais il veut bien savoir.

 

Fatme lui dit avec une certaine candeur : « j’ai remarqué que tu étais beaucoup plus calme depuis 10 minutes et que tu t’intéresses à nous. Mais de toute façon, moi, je sais que tu peux être gentil parce que je me souviens au début de l’année, tu nous as donné des bonbons et tu jouais avec nous. »

Je dis en souriant : "ah, alors il y existe un autre Youssef ! Un garçon qui ne donne pas de coups de pieds mais des bonbons, un garçon à l’écoute, il existe donc aussi celui-là !" D’autres enfants opinent du chef. Youssef prend un air grave, il semble touché.

 

Mais voilà que Martin et Kevin attirent son regard par de nouveaux ricanements. Dilemme ! Youssef est partagé entre poursuivre la discussion avec le reste de la classe ou obtenir la reconnaissance de ses deux copains en montrant que ces échanges n'ont aucun intérêt pour lui. Finalement le trio reprend ses habitudes plutôt hostiles.

 

On est si bien dans sa petite bulle à faire les forts ensemble et à semer l’inquiétude et le trouble dans la classe… On est confort à jouer au jeu d'exclure les autres qui nous inquiètent et à s’en faire exclure. Le dialogue, c'est plus risqué.

 

En voyant le fonctionnement de ces enfants, je me dis qu’on ne grandit jamais vraiment finalement, les adultes n’ont-ils pas souvent eux aussi ce type de comportement ?

 

La sonnerie retentit.

 

 

On a vu qu'il n'est pas impossible de sortir d'une logique excluante, mais que ce n'est pas facile. Je reviens dans un mois et d’ici là j’échangerai avec le maitre savoir s’ils sont revenus sur ce qu'il s’est passé et si l’écoute a un peu progressé…

 

© Laurence BOUCHET pour LaboPhilo, 2022

 

Laurence propose des formations à la pratique philosophique, des consultations philo et des ateliers.

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