OUVERTURE D'ESPRIT et EMPATHIE en atelier philo pour enfants (Michel TOZZI et Johanna HAWKEN)

Philosophie pour enfants. Ouverture d'esprit. Empathie. Michel Tozzi. Johanna Haxken.
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Voici une interview vidéo et en version écrite de Michel Tozzi par Johanna Hawken, dans le cadre de son Abécédaire philo (disponible sur YouTube, réalisation: Caroline Pothier), dans laquelle les deux philosophes exposent leurs points de vue sur le travail de l'ouverture d'esprit et de l'empathie dans les ateliers philo avec les enfants.

 

Verbatim de la vidéo:

 

Johanna Hawken : Alors la lettre O me permet de vous inciter à parler de mon « dada » : le concept d’ouverture d’esprit. En effet, il me semble que l’exercice philosophique peut être une occasion en or pour que les enfants expérimentent concrètement ce qu’est l’ouverture d’esprit, parce qu’en effet on leur dit souvent qu’il faut être ouvert d’esprit. On peut le dire et le répéter, mais il n’est pas certain qu’ils saisissent vraiment de quoi il s’agit et d’ailleurs il n’est pas certain non plus que les adultes sachent vraiment de quoi il s’agit. Donc mon hypothèse serait qu’il y a des moments dans la discussion philosophique où les enfants font preuve d’ouverture d’esprit. Nous pouvons prendre plusieurs exemples : si un enfant reformule la pensée d’un camarade, cela signifie qu’il a pris la pensée de son camarade et qu’il l’a retravaillée. Si un enfant apporte un exemple pour éclairer la pensée de son camarade, cela montre, de la même façon, qu’il a compris cette pensée, qu’il l’a pris en charge et qu’il essaye de l’illustrer. Si – autre exemple – un enfant parvient à dégager l’implicite contenu dans la parole d’un camarade, on sent bien qu’il a vraiment intégré cette idée pour vraiment trouver qu’elle était en sous-texte, ce qui était caché. Tous ces moments me semblent être des marqueurs concret de l’ouverture d’esprit ; c’est-à-dire ce serait un moment où les enfants font entrer les pensées de leurs camarades dans leur esprit propre pour les retravailler. Alors que pensez-vous de ces actes intellectuels d’ouverture d’esprit ? Et est-ce que vous considérez qu’il est important de développer cette ouverture d’esprit par la philosophie ?

 

Michel Tozzi : Je définirais l’ouverture d’esprit essentiellement comme une forme d'empathie cognitive. C’est vrai que l’on parle beaucoup d’empathie au niveau affectif, comme capacité à se mettre à la place du vécu de l’autre. L’empathie cognitive serait plutôt la capacité de pénétrer dans sa vision du monde. C’est extrêmement difficile de pénétrer dans la vision du monde de quelqu’un de différent : il a ses propres catégories de pensée, son expérience singulière, une façon d’avoir transformé son expérience en leçons, ou ce qu’il a vécu en expérience. Chaque autrui est donc tout un « monde », et l’ouverture d’esprit c’est la capacité à pénétrer ce monde. C’est pour cela que la reformulation est très intéressante, car elle permet par l’approbation d’autrui de tester si on est y vraiment rentré, si on a bien compris ce qu’il pense. La reformulation me semble travailler, parce qu’elle est un entraînement à l’empathie cognitive.

 

Johanna : Et effectivement dans ce cadre, on voit la richesse de la philosophie vis-à-vis de l’empathie cognitive : en effet, contrairement à l’empathie affective qui liée à des sentiments très individualisés, à des réalités très intimes, l’empathie cognitive est liée à des idées qui ont vocation à avoir un sens pour tous, des idées qui ont pour vocation à être transmises à tous. Lorsqu’un enfant exprime une idée, c’est bien que son sens vise à être diffusé. Donc, quelque part, on voit que la rationalité permet d’autant mieux la rencontre les esprits. Elle se joue davantage sur un terrain d’entente possible, car les choses dont on parle ont trait à l’ensemble de l’humanité.

 

Michel : Descartes disait que le bon sens (la raison) est la chose du monde la mieux partagée. C’est vrai qu’une vision du monde est toujours la vision singulière de quelqu’un, qui n’est pas quiconque ajoutait Lacan. Mais dès qu’elle est reprise au niveau réflexif, elle peut avoir une visée d’universalisation, de manière à dépasser son caractère subjectif, contingent, limité. Une vision du monde est toujours limitée au départ, parce que c’est l’expérience de quelqu’un qui est né et vit à un certain endroit, un certain moment, et dont l’expérience est en fait très faible, même si elle produit un effet d’évidence. Ce qui va être intéressant par l’ouverture d’esprit, c’est de pouvoir bénéficier de l’expérience et de la réflexion des autres. C’est à dire de s’élever à ce que nous pouvons avoir de commun, une vision rationnelle et universalisable de l’existence.

 

Johanna : Donc, les idées philosophiques sont à la fois individuelles et universelles : elles parlent de l’individu tout en ayant vocation à être comprises par autrui. Même si elles ne sont pas adoptées par les autres, pour le moins, elles peuvent être comprises.

 

Michel : Il ne faut pas croire pour autant que l’empathie cognitive sape l’esprit critique. On peut comprendre quelqu’un sans l’approuver, comprendre sans être d’accord. Je peux même être fondamentalement en désaccord avec quelqu’un tout en comprenant son point de vue, bien comprendre sa vision du monde et la critiquer. Nous avons vu que critiquer la vision du monde d’un autre, c’est un geste d’amitié philosophique pour l’aider à avoir une vision du monde la plus ajustée possible. Donc l’esprit critique fait partie de l’ouverture d’esprit.

 

Johanna : Oui, c’est cela. Par suite, on peut la comprendre, on peut la critiquer, mais l’enjeu c’est juste simplement de se rendre disponible pour accueillir autrui pendant un instant, même si après on la remet en question, même si après on s’y oppose et cetera. On se met en disposition pour pouvoir accueillir les idées et du coup de ne pas créer de barrière et de murs avant même de les avoir comprises.

 

Michel : L’ouverture d’esprit est une prise en considération de la pensée de l’autre ; en prenant en considération sa pensée, on prend en considération aussi sa personne. L'ouverture d’esprit a une double dimension : intellectuelle de compréhension, et éthique par son respect de la différence. On le voit bien dans la reformulation, où il y a à la fois une fidélité à ce que l’autre a dit, qui est une vertu éthique, et en même temps une compréhension intellectuelle de ce qu’il a dit.

 

Johanna : Et ce qui est intéressant du coup avec ces marqueurs de l’ouverture d’esprit : la reformulation, le dégagement des présupposés, l’exemple de vérification et cetera, c’est qu’en fait quand on est ouvert d’esprit, on se permet de manipuler les idées des autres, on se permet d’intervenir intellectuellement et du coup on ne le laisse pas tel quel. Et là-dessus, j’ai l’impression que c’est un modèle théorique très différent du modèle de la tolérance, parce que si on reprend les définitions de la tolérance, on voit que la tolérance est définie comme le fait de laisser autrui être ce qu’il a envie d’être et finalement ne pas y toucher quelque part, de le laisser intact et de l’accepter en tant que tel. Là, au contraire, il ne s’agit pas de regarder cette distance, il s’agit de rompre la distance et vraiment essayer de se confronter intellectuellement à autrui.

 

Michel : Le danger de la tolérance c’est l’indifférence : les autres peuvent penser ce qu’ils veulent, mais de toute façon moi j’ai ma vérité. C’est de l’acceptation de la différence, mais sans être affecté par cette différence. Or si quelqu’un ne pense pas la même chose que moi, pense le contraire de moi, c’est un scandale intellectuel : comment se fait-il que quelqu’un puisse penser le contraire de ce que je pense, quand je crois que ce que je pense, c’est la vérité : donc il faut que l’on en discute ensemble.

 

Johanna : Oui c’est cela.

 

Michel : L’estime réciproque que l’on se porte, c’est précisément de se faire mutuellement des objections.

 

Johanna : Dans la tolérance, les individus restent dans une relation d’extériorité distanciée : on accepte autrui de loin, en quelque sorte. Alors que dans le modèle de l’ouverture d’esprit, on cherche la rencontre réelle, la confrontation et l’interpénétration des subjectivités : par conséquent, c’est un modèle qui est davantage lié à l’intériorité, à l’intériorisation des idées des uns et des autres.

 

 

Michel : Tout à fait.

 

(Texte retravaillé par l'autrice et l'auteur).

 

Voir la vidéo sur YouTube: cliquer ici.

 

 


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